J’adore les expressions !
Non seulement elles permettent de faire passer des messages sous un ton souvent humoristique, mais en plus elles en disent long sur la culture d’un pays quand on en cherche l’origine. Souvent d’ailleurs cette origine s’est perdue et la plupart d’entre nous seraient incapables d’en expliquer le sens originel alors même que nous utilisons ces expressions au quotidien. Par exemple, savez-vous pourquoi on dit : « Pleurer comme une madeleine », « prendre son pied » ou « monter sur ses grands chevaux » ?…Il y en a d’autres par contre dont on comprend le sens immédiatement, comme celle-ci : « être à la croisée des chemins ». Et moi justement c’est exactement là où je me trouvais il y a 3 semaines. Je vous explique ? Bon ça risque d’être un peu long, alors pour les plus pressés, pas besoin de lire tous les épisodes, vous pouvez passer directement au chapitre final!
Tout commence le 25 novembre. J’ai terminé le boulot et quitté Paris il y a une dizaine de jours. Je suis en province chez mes parents en attendant le départ pour mon prochain voyage le 19 décembre. J’ai prévu 1 an et demi de baroude en Asie du Sud Est en débutant par l’Inde, puis Malaise, Thaïlande, Indonésie, Philippines…Le plan étant de passer un diplôme de prof de yoga en Inde puis d’essayer d’obtenir un boulot dans n’importe lequel de ces pays afin d’y rester et de ne pas retourner dans la grisaille parisienne… ou de revenir sous le soleil de Panam une fois le porte-monnaie vide si je n’ai pu trouver un job ou un mari très riche, très vieux et très très près de la mort. Je commence d’ailleurs à me mettre dans mon mode préféré, mon mode « dernière fois ». C’est un truc que j’adore ces dernières fois, ça me met toujours dans un état de bonheur absolu : dernière fois que je vois la tête de certain(e)s conards/conaces au boulot, dernier putain de RER A (j’en étais tellement heureuse que j’ai rigolé toute seule pendant tout le trajet, mes con-génères ont dû me prendre pour une tarée !), dernière fois que je mets mes chaussures à talons (j’ai presque eu un orgasme en les quittant), derniers bons petits plats de ma mère, etc…Et vous ? vous les aimez ces dernières fois ? Moi je les savoure avec délectation !
Je commence aussi tout doucement à rentrer dans ma peau de backpacker : plus de maquillage (oh mon dieu j’ai vraiment cette tête la?), le même tee shirt pendant plusieurs jours d’affilée (euh non ça fait une semaine maintenant) et je commence même à ne prendre de douche qu’un jour sur deux. Les derniers achats sont faits, le sac est bientôt prêt, les réservations vols et Hôtel à l’arrivée sont confirmées...il ne me manque plus qu’à aller à l’ambassade dans 3 jours pour obtenir le visa et c’est parti pour l’Inde !
Et puis il a suffi d’un mail pour que tout bascule…..
Je reçois en effet un message d’une boîte où j’avais postulée il y a quelques mois entre deux missions. Ils ne m’avaient pas répondu alors j’avais lâché l’affaire d’autant plus que je venais juste de trouver mon dernier boulot. Dans leur mail, ils m’indiquent qu’ils ont bien reçu mon CV (au bout de 6 mois il était temps !), qu’ils vont étudier ma candidature et qu’ils reviendront vers moi d’ici quelques jours. Ces quelques jours passent et ils ne reviennent pas vers moi. Je les relance car s’il faut encore attendre 6 mois pour qu’ils me répondent, ça fait long. Et là ils me disent qu’ils ont changé de serveur, qu’ils ne retrouvent plus mon cv et me remercient de bien vouloir leur renvoyer. Oh la la les boulets…Bon, je le fais. De toute façon, mon cv est comme les scouts « toujours prêt ! ». Et là, la RH me renvoie un mail dès le lendemain pour me dire que ma candidature les intéresse et me demande si je serai disponible pour un entretien téléphonique au plus tôt. Intéressée pour un taf ? Mais je croyais pourtant bien que j’étais sur le point de partir me faire bronzer les doigts de pieds en tongs ? Qu’est ce qui pourrait me donner envie de travailler dans cette boite ? Un détail, juste un tout petit détail : cette boite est en Thaïlande !
Et voilà comment je me suis retrouvée « à la croisée des chemins ».
La définition officielle : « C’est une expression que l’on utilise parfois lorsque l’on est devant une importante décision, lorsque l’on doit faire un choix décisif. À la croisée des chemins, il y a deux chemins, ou peut-être plus, qui s’ouvrent devant soi. Quand on est devant ce genre de choix, on est hanté par cette question : vais-je prendre la bonne décision, vais-je prendre le bon chemin ? »
Et c’est exactement ce que je ressens au moment d’appuyer sur le bouton « répondre au mail » : j’y vais ou j’y vais pas ? ça change absolument TOUT à mes projets et ça pourrait même changer TOUT le cours de ma vie…ben oui imaginons un peu que ça marche (je sais je m’emballe vite): cela veut dire que je m’installe en Thaïlande FOREVER ! Plus besoin de galérer à chercher un taf en Asie, plus besoin de se dire « ah dans 3 mois il faut que je rentre en France car je n’ai plus d’argent », plus besoin de retourner à Paris pour économiser de nouveau jusqu’au prochain départ, mais ça veut aussi dire de nouveau travailler dans un bureau, ne pas devenir prof de yoga…oh putain c’est la rave party dans mon cerveau tellement mes neurones sont en transe ! Je vois ces deux chemins là devant moi et je sais que je ne peux pas demander l’aide du public ou appeler un ami… mon choix est fait : ce sera la Thaïlande et c’est mon dernier mot jean Pierre ! Au pire du pire, au bout d’un an je me casse et je reprends mon projet exactement là où je l’avais laissé. Qu’est-ce que j’ai à perdre ?
Et vous ? Avez-vous déjà eu cette sensation ? D’être à un point de votre vie où vous savez qu'une seule décision pourra peut-être tout changer ? Quitter son mari ou rester, tromper sa femme ou remettre de l’ordre dans son couple, garder son enfant ou se faire avorter, accepter une demande en mariage ou la refuser, démissionner ou rester dans son CDI….une fois ces décision prises, il n’y a pas de retour possible, rien n’est plus comme avant…Comment faites-vous pour faire votre choix ? Notre premier réflexe c’est de faire ce qu’on attend de nous ou ce que nous croyons devoir faire pour être dans la norme, correspondre à l’image que l’on s’est forgée, ne pas décevoir ou parce que c’est plus facile…et sans que nous le sachions c’est la peur qui guide notre choix. La peur d’aller voir au fond de nous ce qui nous rend vraiment heureux. Car une fois que l’on a trouvé ce qui nous apporterait vraiment le bonheur, et qu’on se rend compte des choix que cela impliquerait, alors c’est la panique car souvent cela veut dire changer complètement de vie, être rejeté par les autres ou être pris pour un fou ! Mais c’est aussi souvent ces choix qui paraissent si difficiles au départ qui se transforment en bonheur véritable. Alors la prochaine fois que vous aussi vous vous retrouverez à la croisée des chemins, n’écoutez que vous-même et si le chemin choisi parait plus escarpé ou moins emprunté par les autres, c’est que c’est peut être bien le vôtre ! Le bonheur ne se trouve pas par GPS !
Tout ça pour dire que pour moi c’est décidé, je tente la Thaïlande et on verra bien où ça me mène ! Il faut quand même que je passe d’abord les entretiens de sélection. Ils me demandent plein de papiers, c’est la galère : lettres de référence de mes derniers employeurs (merci Jean Luc, Nathalie et Dominique), dernier diplôme, cv à jour, lettre de motivation, diplôme du baccalauréat… Catastrophe : impossible de remettre la main sur mon diplôme du bac ! Je retourne toutes les armoires, vide tous les classeurs, pas moyen de le retrouver, c’est la panique ! Je comprends maintenant pourquoi tous les parents disent à leurs enfants « passe ton bac d’abord ! » : au cas où un jour une boite thaïlandaise le leur demande ! Enfin il est retrouvé et tous les papiers sont envoyés. En effet, pour justifier l’embauche d’un étranger à la place d’un local (ce qui prive un thaïlandais de travail), il faut prouver que l’étranger a des compétences, une expérience, des études…qu’un thaïlandais n’aurait pas. Je peux leur sortir le super cendrier en pâte à sel que j’avais fait en primaire s’ils doutent encore de mon profil exceptionnel !
Enfin bref, 3 entretiens, une dizaine de mails et des heures d’attente plus tard, le couperet tombe : j’ai le job ! Je suis comme une folle, je n’ai jamais été aussi heureuse d’avoir obtenu un boulot ! Il faut dire que la boite s’occupe de toute la paperasse, et notamment du sacro-saint permis de travail, LE document tant recherché par tous ceux qui veulent s’expatrier. En effet trouver une boite qui accepte de vous sponsoriser et de faire les démarches auprès de l’immigration, c’est certes possible mais ça arrive aussi souvent que d’être assis à côté de Brad Pitt dans le RER. Donc je suis totalement hystérique… oh mais il va falloir que je change de tee shirt ! Ah et je n’ai rien à me mettre ! Et merde j’aurais pas jeté mon maquillage à la poubelle la semaine dernière ? La pétasse parisienne qui sommeillait en moi vient de se réveiller et ce n’est pas grâce à un baiser du prince charmant !
Mais alors c’est quoi ce job ? Bon ne vous emballez pas, c’est pas vraiment glamour. Pour faire simple : quand vous avez un problème avec votre Iphone, une question au sujet de votre imprimante, ou que vous voulez passer une commande de n’importe quel produit…vous appelez un service client. Et souvent vous tombez sur Marie Chantal basée en Normandie au Maroc. Et bien désormais vous risquez aussi de tomber sur Catherine, en Thaïlande. Ma boite c’est en effet une plateforme téléphonique à qui des entreprises françaises de tous secteurs ont délocalisé le service clientèle. Donc 8 heures par jour je vais répondre au téléphone à des clients parfois satisfaits, souvent neuneus ou même carrément énervés. Je vous avais dit que c’était pas glamour ! Mais bon le truc c’est qu’avec le décalage horaire, je ne travaillerai qu’à partir de 13h. Cela veut dire que tous les matins je pourrai faire tout ce que je ne pouvais plus faire à Paris : du yoga, de la méditation, du reiki...bref toute la spiritualité que je voulais trouver en Inde, je vais pouvoir l’avoir en Thaïlande et je serai payée en plus ! « Payée » est un bien grand mot, car à 600 euros par mois ça couvre à peine mes dépenses d’alcool mensuelles à Paris (non je rigole)...mais il faut dire que le coût de la vie est tellement bas, qu’on s’y retrouve au final…et puis pour les fins de mois difficiles, j’ai toujours l’option du mari très riche, très vieux et très très près de la mort.
J’arrête donc tous mes préparatifs pour l’Inde, annule tout ce qui a déjà été réservé, et je recommence tout pour la Thaïlande : billet d’avion, réservation d’hôtel pour l’arrivée, changer mes roupies indiennes en Baht…il ne me manque plus que le visa. Pour cela, il me faut plein de documents que ma boîte m’a envoyés par mail, donc mon dossier est complet. Je fais l’aller-retour en TGV dans la journée. L’ambassade ouvre à 9h30. J’arrive à 9h45...et je suis le numéro 79 ! La matinée va être longue ! Au fur et à mesure des minutes, la tension monte car je découvre que pour le visa de travail ils demandent un formulaire, le WP3, qu’apparemment je n’ai pas dans la pile de documents fournis par ma boite (mais comme tout est écrit en Thaïlandais, je ne sais pas trop). Dans le doute, j’appelle ma boite qui me confirme qu’effectivement je n’ai pas ce formulaire. L’assistante RH me rappelle en m’expliquant qu’ils ne pourront pas me le fournir car la règlementation est différente en France et me demande de lui passer l’employée quand ça sera mon tour afin qu’elle le lui explique. La pression monte d’un cran surtout que plein de personnes se voient refuser leur visa car leurs dossiers ne sont pas complets. Bon c’est à moi. J’ai l’assistante RH au téléphone et en même temps la guichetière qui non seulement refuse mon dossier car il manque ce putain de WP3 mais en plus ne veut pas prendre mon téléphone pour écouter les explications de ma boite. J’ai beau insister, rien à faire. Pire elle commence à s’énerver et à me menacer en disant qu’elle va dire au consul que je fais des histoires et qu’il ne signera pas mon visa. Oh la bridée j’avais trop envie de lui planter des baguettes dans les yeux. Je tente ma chance au guichet d’à côté. Elle non plus ne veut pas prendre mon téléphone, mais je le mets en haut-parleur et je crie à l’assistante RH de parler en thaïlandais pour que la guichetière entende. De guerre lasse, elle prend mon téléphone et va dans un bureau derrière. Pendant ce temps, la guichetière n° 1 commence à gueuler. Pas besoin de comprendre le thaïlandais pour savoir qu’elle devait dire un truc du genre que c’est inadmissible que les gens fassent ce genre de choses…je flippe que ça dégénère, mais l’autre guichetière revient. Elle a raccroché et me dit que ma boite va me rappeler pour m’expliquer. Ce qu’elle fait. Bon apparemment c’est pas gagné : il faut qu’ils obtiennent une attestation du bureau de l’emploi à Bangkok qui indique qu’ils sont exemptés de ce formulaire WP3..ah les joies de l’administra-con !
2 jours plus tard, j’y retourne avec cette attestation. Cette fois ci j’ai prévu le coup : j’ai passé la nuit chez une copine (merci Menuka) et je suis à 08h30 devant l’ambassade ! Et je ne suis même pas la première ! Comme on a une heure à attendre avant que les portes ne s’ouvrent je commence à sympathiser avec deux algériennes qui font la queue. Pour elles c’est encore pire : l’Algérie est sur la liste noire de la Thailande (va t-on savoir pourquoi? Peur du trafic de couscous?) et pour passer ne serait-ce qu’un jour en Thaïlande, elles ont besoin d’une tonne de paperasse ! J’ai le ticket numéro 3 et je constate avec horreur que c’est toujours la même guichetière en place. Et si elle me reconnait ? J’ai pas mis ma perruque blonde alors faut que ça passe. Ça y est c’est mon tour. Je crois que ce fut l’un des bonjours les plus hypocrites de ma vie, heureusement que je l’avais bien pratiqué dans mon ancien boulot ! Elle lit avec attention mon attestation. Le temps s’arrête. Je retiens ma respiration. C’est interminable. On est dans un remake de Matrix ou quoi ? Elle ne me regarde même pas et me tend un reçu : «Revenez dans 3 jours pour la réponse ! » Autant vous dire qu’ils m’ont paru une éternité ! J’ai eu beau méditer sur le détachement, rien à faire, pas moyen de ne pas y penser !
***
Ce matin, je me rends à l’ambassade récupérer mon passeport avec je l’espère mon visa. Je retrouve les algériennes rencontrées lors du dépôt. La première passe et on ne lui donne pas son passeport. Ah la pauvre je suis vraiment navrée pour elle! Juste parce qu’elle n’est pas née dans le bon pays ! Je suis juste après. Et à moi aussi on ne me le donne pas ! Quoi ? On nous explique que les passeports ne sont pas prêts et qu’il faut attendre. Attendre ? Mais, combien de temps ? Je décolle la semaine prochaine ! Et les allers retours à Paris commencent à coûter cher ! «Rassurez-vous » - on nous dit – « ils seront prêts dans 20 minutes ! » Mouais je suis sûre que c’est juste pour nous calmer…ça commence à devenir lourd cette histoire ! Mais contre toute attente, 20 minutes plus tard on peut de nouveau se présenter au guichet pour récupérer nos passeports. Mes deux copines algériennes ont leur visa ! Et moi ? Je tends fébrilement mon reçu. L’employé cherche mon passeport dans la pile. Il l’a trouvé. Mais y a-t-il le visa ? Ouii !! oui, oui !! oh oui !! Je pars en Thaïlande!
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Chapitre final :
Je viens de rentrer de Paris avec mon passeport apposé de mon magnifique visa de travail. J’ai failli le cacher dans ma culotte tellement je flippais de me faire chourer mon sac dans le métro par une bande de roumains ! Je décolle le 24 décembre pour la Thaïlande. Je commence à bosser le 6 janvier à Chiang Mai, pour un an minimum et plus si affinités. Chiang Mai c’est au nord de la Thaïlande, loin des plages, de la mer et des filles / garçons en maillot de bain. Mais bon, c’est quand même la Thaïlande merde ! Alors vous êtes tous cordialement invités chez moi ! Ah oui car au prix des loyers, j’aurais mon appart (enfin un studio, ne ramenez pas tous vos cousins quand même). My casa es tu casa ! Si vous passez dans le coin l’année prochaine, ça me ferait plaisir de vous voir !
En attendant, soyez sympas au téléphone la prochaine fois que vous appelez votre service client…non mais allo quoi !